Hu-mie-liation

À la communale, un jour l’instituteur nous demande par quel mot on désigne le blanc du pain. Comme tous mes camarades de la classe unique de l’école de notre village encore largement germanophone vers 1960, je n’avais jamais entendu ce mot à la maison qu’en dialecte francique, pas en français. Dans la plupart des familles on parlait en diverses proportions à la fois le français et l’allemand, mais pour beaucoup de mots de la vie quotidienne, le dialecte dominait.
Nous ne connaissions donc que « Presem » (prononcé « prézemme« ), version dialectale des mots allemands Broesel ou Brosame, mais nous n’avions pas le droit de le prononcer à l’école où le dialecte était tabou.
Aucun d’entre nous n’avait jamais entendu le mot « mie », sauf un garçon francophone du cours élémentaire, qui a levé le doigt. L’instituteur ne l’a pas laissé répondre aussitôt, d’abord pour donner à d’autres élèves le temps de retrouver le mot, puis, je me souviens très bien de son insistance sadique, pour nous se gausser de notre ignorance.
Je me souviens des efforts désespérés que je faisais pour trouver dans un recoin de ma cervelle ce mot qu’en fait je ne connaissais pas. J’avais six ou sept ans et c’est peut-être depuis ce jour-là que je déteste la mie de pain.

PS: je récupère petit à petit les pages et les billets sournoisement trucidés avant-hier par WebCopier lors de la sauvegarde de ce débloque-notes… il restera ensuite à récupérer les commentaires eux aussi sauvegardés, mais plus difficiles à remettre dans le code.

4 Responses to “Hu-mie-liation”

  1. kerbacho écrit :

    [Suite à la destruction partielle de ce débloque-notes, la plupart des commentaires ont été effacés. Je les remettrai au fur et à mesure... comme je le fais ici:]
    [Commentaire original de 20|100 daté du 15/08/2005 01:26]
    Touchante cette histoire, c’est bien un psychoblog car à partir de petits détails il est possible de mieux comprendre son auteur. ;-)

    Je ne sais pas ce que cela à déclenché comme frustration, mais voici quand même ma petite histoire.
    Dans les années 1980 (environ milieux-seconde moitié), quand j’étais encore à l’école « rurale » d’Alan (Haute-Garonne) aussi dans une classe unique, je me souviens qu’un jour notre maître, le fameux Alain Mestré nous à demandé comment on nomme les lumières à l’avant d’une voiture. Ma mémoire est un peu floue et il me manque les détails mais je me souviens de l’obstination de plusieurs enfants (notamment les frères David et Philippe Gojard, est-ce que la grande soeur était aussi là aussi ?) à appeler cela des éphares (prononcé des « zéfare »). Est-ce que le patois occitan certainement parlé dans leur logis est particulièrement propice à concaténer mots et articles ? Je ne sais pas. En tout cas cette situation des langues parlées à la maison et du monde extérieur, un peu similaire à la tienne m’avait marqué, et aussi particulièrement par le drôle de comportement de la part de l’instituteur qui, j’exagère certainement , prenait plaisir a les laisser dans la boue.

  2. débloque-notes » Blog Archive » Allumette écrit :

    [...] J’ai déjà évoqué cette hu-mie-liation des personnes bilingues de ne pas pouvoir être tout à fait elles-mêmes des deux côtés de leur frontière intérieure. [...]

  3. débloque-notes » Blog Archive » Allumettes écrit :

    [...] J’ai déjà évoqué cette hu-mie-liation des personnes bilingues de ne pas pouvoir être tout à fait elles-mêmes des deux côtés de leur frontière intérieure. Je n’ai pas encore parlé de chaizelangue, ce sera pour une autre fois. [...]

  4. débloque-notes » Blog Archive » Schässlang écrit :

    [...] Les mots parfois, comme des étiquettes, se décollent : allumettes, mie de pain et robinet… On ne les voit pas sur cette image, mais on les sent, les fameux traversins appelés pash balish [...]

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