La musique de Bahadur Khan

Pourquoi la musique de Bahadur Khan me touche-t-elle tant?
En un seul mot : par sa subtilité.
En deux mots : par son sens des nuances.
En trois mots : par la cohérence du discours musical.
En un peu plus de mots : parce qu’elle me réconcilie avec un style quasi monopolisé par Ali Akbar Khan (lequel bénéficie d’un prestige qui semble le mettre à l’abri des critiques).
Je me trompe peut-être mais je trouve Ali Akbar Khan souvent brouillon, brutal et parfois barbant. C’est iconoclaste, mais c’est ce que je pense.

Je ne connais aucun instrumentiste, et certainement aucun joueur de sarod, qui ait comme Bahadur Khan le sens des plans sonores. Il construit des volumes, au sens plastique du terme, en utilisant habilement toutes les ressources timbrales de son instrument.
Son jeu est tout en subtilité, en finesse, notamment dans l’attaque de la corde avec le plectre. Sa main droite est incroyablement déliée, la variété des coups de plectre est inouïe. Or la grandeur du sarod est justement dans le jeu de la main droite, dans le jeu du plectre, comme la grandeur du violon est dans l’archet. C’est la main droite qui produit le son. Celle de Bahadur Khan cogne, érafle, scie, racle, fouette, pince, titille, caresse, fouille la corde pour en tirer les notes, c’est inouï.

De ce côté Ali Akbar Khan n’a d’ailleurs rien à envier à Bahadur Khan, sa main droite est exceptionnelle aussi, mais sa musique me paraît mastoc, même sans la comparer à celle de Bahadur Khan. Le sarod est instrument difficile, chez Ali Akbar ça se sent. Chez Bahadur Khan je n’ai jamais cette impression de frusteté, de mal dégrossi que me donnent la plupart des enregistrements d’Ali Akbar Khan.
J’ai l’impression qu’Ali AKbar Khan passe le papier de verre alors qu’il n’a pas encore raboté. Il est souvent négligent, parfois grossier.

De Bahadur Khan, qui tout comme Ali Akbar Khan (ainsi que Ravi Shankar, Nikhil Banerjee et quelques autres) a été formé par son oncle Allaudin Khan, mais sans doute aussi par son propre père Ayet Ali Khan, il n’existe qu’un petit nombre d’enregistrements, alors qu’il en circule beaucoup d’Ali Akbar Khan. Ceux de Bahadur que je connais sont assez homogènes et il me semble qu’on peut donc les considérer comme représentatifs de l’art de ce musicien.
Le fond et la forme de son style sont bel et bien ceux de Maihar Gharana, très proche par conséquent d’Ali Akbar Khan.
Les différences entre les deux musiciens sont finalement assez subtiles, mais incontestablement réelles et à mon avis très profondes.

La musique de Bahadur Khan est bien proportionnée, parfaitement équilibrée. Quand il joue très fort, il n’est jamais violent, quand il joue doucement, il n’est jamais caricatural en poussant jusqu’à l’inaudible . Sa technique est parfaite. Alap, jor, jhala, gat, tout s’enchaîne sans hiatus.

La balance entre l’intérêt du jeu de sa main droite et celui de sa main gauche est exemplaire. L’attention de l’auditeur est constamment relancée, alternativement par les subtilités dans les coups de plectre, et par les perles mélodiques que la main gauche tire du redoutable manche métallique du sarod. Les trouvailles sont utilisées à bon escient, elles s’intègrent rigoureusement dans le propos musical et ne sont jamais réduites au rang d’effet.

L’impression de calme, d’ampleur et de dignité dont est emprunte la musique de Bahadur Khan est assez difficile à définir, et pourtant bien réelle. Je l’ai ressentie dès la première écoute de ce musicien dont j’ignorais l’existence au moment où je suis tombé sur son LP dans les réserves de la Médiathèque de Bruxelles il y a quelques années.

Les enregistrements par lesquels je connais Bahadur Khan:
Nat Bilawal, Rageshree – CD Multitone BMG UK (1995)

Kaushi Kanada – Shankar Ghosh, tabla – non publié

Ahir Vibhas, Dayavati - Anil Bhattacharya, tabla – EMI ECSD2532 - 1977
Hemant, Mangalkauns - AIR Delhi – émission du 12 mars 2002

Miyan Malhar, Desh, Pahadi - non publié
Yaman, Palas Kafi - non publié

Il existe heureusement aussi beaucoup d’enregistrements extraordinaires d’Ali AKbar Khan.

5 Responses to “La musique de Bahadur Khan”

  1. débloque-notes » Blog Archive » Plaidoyer pour Google Desktop Search écrit :

    [...] INDE MOTS REGARDER VOIR WP m’a tuer

    « La musique de Bahadur Khan

    Plaidoyer pour Google Desktop Search

    On lit pis que pend [...]

  2. kerbacho écrit :

    Le machin que WordPress vient, de sa propre initiative, de coller comme commentaire à ce billet montre qu’il y a décidément quelque chose de pourri dans cette version de WP !

  3. kerbacho écrit :

    Je viens de comprendre (un peu tard…) :
    New pingback on your post #217 « La musique de Bahadur Khan »
    Website: débloque-notes » Blog Archive » Plaidoyer pour Google Desktop Search (IP: 212.27.63.107 , perso107-g5.free.fr)
    URI : http://www.tarana.be/sarod/?p=218
    ———————————-
    Ah, c’est donc ça un ping back !

  4. débloque-notes » Blog Archive » Bahadur Khan écrit :

    [...] Enfin des photos de Bahadur Khan, musicien exceptionnel. Merci Vincent. Il ne reste plus qu’à patienter en attendant que Lyle Wachovsky se décide à publier les enregistrements qu’il a. [...]

  5. Prithviraj Guha écrit :

    Hello:

    I’m very impressed by the several clips of Hindustani classical music that you’ve uploaded in your website. Unfortunately, I don’t know French and hence cannot delve deeper into your postings.
    I am an amateur follower of Hindustani instrumental classical music, especially of the Maihar gharana. I happen to have several unpublished recordings of stalwarts including Ali Akbar Khan, Ravi Shankar, Nikhil Banerjee, Bahadur Khan, to name a few. Is it possible to communicate over email? I would love to exchange lists with you and also trade some recordings. So, please email me.

    thanks!

    Prithviraj

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