Roti Priya – Snehasish Mozumder & Sumitrajit Chatterjee

Quelques instants privilégiés lors du réglage de la lumière avant le concert de samedi 26 janvier au Tropentheater d’Amsterdam m’ont permis de prendre cette photo de Snehasish, avec au premier plan son accompagnateur Soumitrajit. J’aime ce contraste excessif qui rend compte à la fois des contrastes forts qui règnent dans la musique de Snehasish et de son goût prononcé pour les vêtements noirs.

Soumitrajit Chatterjee, tabla - Snehasish Mozumder, mandolin - Julia - tanpura

J’ai eu le bonheur d’assister à quelques jours d’écart à trois de leurs huit concerts, tous également réjouissants, parfaitement conformes aux canons du concert instrumental hindoustani, avec deux ragas développés in extenso, alap – jod – jhalla – gat lent – gat rapide, en deux fois 50 minutes environ, sans aucune concession et avec une musicalité impeccable.
Il est frappant de voir comment les limitations même de l’instrument finissent par en devenir les atouts. Pas de chikari, pas de cordes de résonance, un timbre parfois grêle, instable voire imprécis, souvent un peu bruité, un désaccord fréquent des doubles cordes qui donne un son acidulé… tout cela forme un timbre instrumental original, cohérent et très attachant.
Dans l’alap – jod – jhalla on retrouve tout ce que charrie la tradition du dhrupad. Les meends n’ont pas l’ampleur de ceux d’une vina ou d’un surbahar, ils n’en sont pas moins valables. L’exposition du raga est soigneuse et complète, pour autant qu’elle puisse l’être sans le moelleux du sitar ou de la flûte ni la solennité du sarod ou de la vina. La sécheresse parfois squelettique de la mandoline est en fait très séduisante.
Et le public enthousiaste ne s’y est pas trompé.

L’inventivité mélodique dont fait preuve ce mandoliniste se manifeste dès le jod. Dans le jhalla sa virtuosité perce avec une clarté et une cohérence musicales impressionnantes. L’absence de halo harmonique (ni chikari, ni tarafs) laisse toute leur netteté aux coups de plectre infiniment variés de la main droite et aux doigtés vertigineux de la main gauche. En écoutant Snehasish je pensais (entre autres) à Shahid Parvez, mais sans sa morgue démonstrative. Peut-être plus encore au Buddhaditya Mukherjee de la grande époque que je n’ai malheureusement vu sur scène qu’après son déclin.

Le choix des ragas dénote une prédilection de Snehasish pour les emprunts à la musique carnatique, peut-être pour échapper aux références et à la comparaison avec les autres idiomes instrumentaux. Peut-être aussi pour leur simplicité relative. C’est le cas de son fameux Roti Priya, gamme par tons entiers avec de temps en temps une quinte juste, que je n’ai jamais entendu par quelqu’un d’autre que lui. Et que j’aime beaucoup. Rien que son goût pour cette échelle extraordinaire suffisait à me rendre Snehasish sympathique. C’est d’ailleurs à partir de ce coup de foudre ressenti lorsque je l’ai entendu pour la première fois à Paris (Merci Dipa !) il y a quelques années qu’est née l’envie de l’inviter à revenir présenter sa musique ici dans de bonnes conditions.
Mission accomplie, je crois, les absents ont eu tort.

Au moment où j’écris ces lignes, les deux musiciens devraient déjà être rentrés à Calcutta, mais ils sont en rade dans une chambre d’hôtel à l’aérpoport de Bruxelles. Ils ont raté leur avion ce matin, pour de sombres histoires d’excès de poids de leurs bagages. Lancinante contradiction entre la subtilité de la musique indienne et le matérialisme consumériste de ceux qui la pratiquent.

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