Comme il faut !

Organiser un concert de musique vocale carnatique à Bruxelles, en plein mois de mai, le premier samedi de vraie grande chaleur d’un printemps jusque là très frileux, avec vue imprenable sur le pont de l’Ascension d’un côté et celui de la Pentecôte de l’autre, dans un lieu qui a certes la réputation de faire le plein avec de la musique indienne, mais seulement quand elle est jouée par des artistes belges, est une entreprise assez farfelue. Un pari bien hasardeux pour ce qui concerne le taux de remplissage de la salle. Ce n’était peut-être pas une cause perdue d’avance, mais certainement pas gagnée non plus.
En tout cas un défi parfaitement hors de ma portée, quand bien même j’aurais eu le temps et l’énergie de m’y consacrer comme il faut.

D’ailleurs à une heure du début du concert, la contemplation de la liste des réservations n’avait rien d’enthousiasmant et laissait entrevoir une soirée dont la qualité musicale ne ferait certes aucun doute, mais qui resterait dans les annales dans la même catégorie que les deux derniers concerts de musique indienne au même endroit : quelques dizaines de spectateurs pour Shashank en mai 2007, et pas tellement plus pour Prattyush Banerjee en novembre 2007.

Et pourtant, quand le concert de Sanjay Subrahmanyan, S. Varadarajan et Neyveli Venkatesh a commencé samedi soir vers 20h30, la salle était pleine.

Pour les retardataires du dernier quart d’heure, surpris peut-être par la densité du trafic et par la difficulté de trouver à garer leur voiture, il a fallu ouvrir le balcon.
Quel moment délicieux ce doit être dans la vie de l’organisateur quand il décroche la chaîne qui barre l’accès au dernier étage!
Deux heures et demi plus tard il restait toujours quelque 300 personnes dans la salle, apparemment magnétisées par les trois artistes, eux-mêmes visiblement très heureux après un Sindhi Bhairavi endiablé.

Sanjay Subrahmanyan devant le micro de l'émission le Monde est un Village, de Didier Mélon, sur La Première - photo Béa Didier
[Photo Béa Didier] Sanjay Subrahmanyan devant le micro de l’émission le Monde est un Village de Didier Mélon, sur La Première.

Cette réussite est à mettre au crédit d’une personne, une seule personne, Béatrice Didier, qui pendant des semaines, des mois, s’y est consacrée comme… il faut.

Comme il faut… pour rendre hommage aux musiciens à la hauteur de l’admiration qu’elle leur porte.
Comme il faut… pour remplir la salle ainsi qu’elle s’était engagée à le faire quand nous avions décidé de mettre en chantier ce concert.

Chapeau ! Belle leçon de maïeutique infatigable, pour moi qui me pique de faire venir des artistes parmi les meilleurs d’Inde mais les fais jouer devant des salles à moitié vides, et belle leçon pour tous les organisateurs professionnels qui se plaignent de la baisse de fréquentation des concerts, notamment de musique indienne.

Vous avez pris le taureau par les cornes, merci Béa !
Grâce à vous j’ai pu vérifier que mon intuition initiale en entendant Sanjay il y a quelques années sur le site ITC-SRA (d’où il a malheureusment disparu) n’était pas un fantasme. Je ne serai pas là dans cinquante ans, comme il le suggère lui-même, pour vérifier si son apport tient la route, mais j’aurai eu la satisfaction d’assister à la germination de quelque chose qui deviendra peut-être un mouvement de réconciliation entre deux narcissimes, apparemment irréductibles pour l’instant.

Qui mieux que Sanjay lance de telles passerelles musicales entre le Sud de l’Inde, dravidien borné, et le Nord, mahométan buté ? Merci Sanjay !

4 Responses to “Comme il faut !”

  1. blessed écrit :

    Merci Denis mais je me permets de rappeler que vous êtes la seule personne qui a répondu à l’appel lorsque j’ai tenté de trouver des gens intéressés par un concert de Sanjay Subrahmanyan. Que ce concert sans vous n’aurait pas eu lieu. Que si tant de gens sont venus c’est aussi parce que vous vous êtes « mouillé » en écrivant « Désir de mélodie ou Mélodie du désir » et que cela leur a donné envie de venir. Que si ce genre d’événement a pu avoir lieu il s’est fait sur un terrain que vous labourez avec ferveur depuis des années. Ne soyez donc pas trop modeste par rapport à ce que VOUS faites dans ce domaine.
    Ce que je retiens par ailleurs des retours de ce concert c’est que bon nombre de personnes n’auraient jamais apprécié ou chercher à apprécier cette musique via un cd ou un lien sur youtube.
    Contrairement à ce que m’a dit Thierry Noville il y a deux ans, il se passe qqchose en concert qui ne se passe pas en écoutant la musique dans son salon. Personnellement, si je n’avais pas découvert Sanjay en concert je ne l’aurais peut-être jamais entendu.

    Sanjay, Varadu et Venki sont arrivés le 21 mai avec le soleil. Hier, le ciel s’est couvert peu à peu. Cette nuit, il y a eu un orage incroyable. Je suis montée au grenier fermer le velux. Mais trop tard l’eau avait déjà envahi le tiers de la pièce. Je me suis dit: Ca c’est comme avec Sanjay il peut avoir cette douceur d’apporter le soleil et cette force qui bouleverse. Et tandis que vous êtes bouleversé, lui « il a les pieds sur terre ».

    Rares sont ces artistes.

    Il y a bien des années, je pensais que l’art pouvait changer le monde.
    Depuis quelques temps, je pensais que l’art n’avait aucun pouvoir de changer le monde, que ce n’était d’ailleurs pas « sa fonction ».
    Après ce concert, j’ai eu la sensation que l’art pouvait bouleverser un être humain voire changer son « humanité ». C’est énorme!

  2. M. Pigeon écrit :

    Monsieur, Madame (si j’ai bien compris) :-)

    Pour ma part ce concert est le plus beau auquel j’ai assisté depuis des années. Non, on n’est pas ému par cette musique, ni par les autres d’ailleurs, sur un enregistrement comme on l’est en la vivant avec ceux qui la jouent. Soyez remerciés tous deux pour avoir organisé cela – j’écoute de la musique carnatique sans discontinuer depuis, alors, oui, vous avez bouleversé au moins un être humain :-)

  3. blessed écrit :

    Et bien que le bonheur d’écouter cette musique vous accompagne encore et encore!

  4. kerbacho écrit :

    Merci M. Pigeon d’être venu jusque sur cette page pour témoigner de votre bouleversement.

    Dans les moments de doute, je viendrai relire ces quelques lignes de satisfaction et ferai ainsi le plein de motivation pour continuer.

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